« Résilience et autres guérisons » : guérir et faire guérir
Le Devoir | 2022
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Artiste et infirmier, Yannick De Serre est une figure singulière du milieu de l’art québécois. Sa pratique artistique est toujours teintée par les événements, parfois tragiques, qu’il vit au quotidien. Dans Résilience et autres guérisons, l’exposition qu’il présente au centre d’art OBORO jusqu’au 10 décembre, l’artiste convoque les notions de présence et d’absence, de vie et de mort. « Dans ma pratique d’infirmier, on côtoie la mort assez régulièrement, et on n’est pas nécessairement outillé pour gérer nos traumatismes multiples. » Ses œuvres se présentent comme une extension des deuils auxquels doivent faire face les soignants.
Pour évacuer et guérir
De Serre approche sa démarche comme un lieu de guérison. Elle découle en effet d’une nécessité vitale de prendre le temps et de se retrouver. « Dans la salle d’urgence, on est dans l’aigu, dans l’inconfort. C’est un milieu de travail où le temps est manquant et absent. D’arriver à prendre un moment pour s’asseoir et se donner l’espace pour créer un rituel, c’est vraiment important. »
Ce temps, hormis celui qu’il consacre aux échanges empreints de sensibilité qu’il essaie de multiplier avec ses patients, s’incarne dans l’attention injectée à ses projets de nature artistique. Par diverses méthodes, il cherche à transposer tous ces deuils qui l’accompagnent et à les apaiser. « La résilience est pour moi la capacité de passer à autre chose sans garder toutes les traces de ces traumatismes. » De Serre est sensibilisé aux expériences douloureuses de la perte humaine, mais n’est pas immunisé contre elles pour autant. Avec son vécu, il tâche de « dire avec les bons et les vrais mots » les traversées émotives qu’imposent ces épreuves, et « de [les] inscrire, de [les] communiquer, d[’en] laisser des empreintes ».
« Après le premier décès auquel j’ai dû faire face, je cherchais un objet rituel ; puis je suis tombé sur un mouchoir de tissu, que j’ai acheté et laissé près de ma table d’atelier. Au fil du temps, il me servait à essuyer ma surface, mes plaques de gravure, mes mains, mes bavures d’encre. » Petit à petit, Yannick De Serre tisse par ce cycle un rapport intimiste avec les morts côtoyées. Chaque décès marqué par le choix d’un nouveau mouchoir, chaque mouchoir marqué par les nouvelles œuvres en travail. « C’est un témoin, un artefact d’atelier assez puissant. »
Exposer le rituel
À OBORO, il présente de nombreux linceuls contenant ces tissus symboliques. « Ce projet-là prend son sens dans l’accumulation. Le fait qu’il soit présenté en mi-carrière est important : ça confirme que le rituel fonctionne et offre une guérison avec le temps. » Si ces mouchoirs canalisent chacun un décès particulier, De Serre les recense périodiquement. Chaque fin d’année, il prend un large papier japonais où il les recueille et les plie selon une gestuelle établie, puis paquette l’ensemble et l’étiquette avant de le consigner auprès des précédents.
Ce projet toujours en cours — « jusqu’à ce que je prenne ma retraite » — est le témoin de ses 17 dernières années de métier à l’urgence. Précise, la série de gestes qu’il effectue crée cet aspect rituel émouvant que l’on reconnaît à l’artiste-infirmier. Elle exhibe la recherche délicate qu’il conduit autour des affects. Dans la salle d’exposition, la série de linceuls s’adosse à un autel qui montre des tissus suturés et les outils d’un travail artistique et infirmier. Des œuvres imprimées montrant des bouquets funestes le surplombent, constituant un ultime hommage.
Conjuguer deux vies
La cohabitation des deux emplois de De Serre lui offre un éventail de matières, d’instruments, de sujets et de techniques qui croisent le milieu de l’art et le milieu hospitalier. « Pour moi, ça devient mes outils d’atelier. Un exacto est un scalpel, je coupe mon papier avec des ciseaux chirurgicaux, la pointe sèche que j’utilise pour mes gravures est une aiguille médicale. » C’est là la force du travail de De Serre. Exprimant par l’art les motifs d’un métier exigeant et engageant, l’artiste fait exister une harmonie entre les soins intensifs et l’atelier qui culmine vers cette guérison espérée.
« Mon travail réside dans ces dualités entre le rough et le soft. Ça se manifeste entre autres par mes sutures, que je mets en avant pour inscrire des mots qui connotent et renforcent le propos de mes œuvres. C’est une façon pour moi de jouer avec la notion de cicatrice, de parler d’empreinte et de trace. » Son travail artistique, minimaliste, privilégie une sobriété esthétique et matérielle pour parler de sujets forts et durs. Partant de l’idée qu’avec peu, on est capable de déchiffrer beaucoup, De Serre propose dans chaque détail des indices importants pour le message de l’œuvre. Il produit en somme des projets sensibles et délicats qui contrebalancent le poids éprouvant des drames quotidiens vécus à l’hôpital.
Résilience et autres guérisons
De Yannick De Serre, à OBORO, jusqu’au 10 décembre 2022.
Pour évacuer et guérir
De Serre approche sa démarche comme un lieu de guérison. Elle découle en effet d’une nécessité vitale de prendre le temps et de se retrouver. « Dans la salle d’urgence, on est dans l’aigu, dans l’inconfort. C’est un milieu de travail où le temps est manquant et absent. D’arriver à prendre un moment pour s’asseoir et se donner l’espace pour créer un rituel, c’est vraiment important. »
Ce temps, hormis celui qu’il consacre aux échanges empreints de sensibilité qu’il essaie de multiplier avec ses patients, s’incarne dans l’attention injectée à ses projets de nature artistique. Par diverses méthodes, il cherche à transposer tous ces deuils qui l’accompagnent et à les apaiser. « La résilience est pour moi la capacité de passer à autre chose sans garder toutes les traces de ces traumatismes. » De Serre est sensibilisé aux expériences douloureuses de la perte humaine, mais n’est pas immunisé contre elles pour autant. Avec son vécu, il tâche de « dire avec les bons et les vrais mots » les traversées émotives qu’imposent ces épreuves, et « de [les] inscrire, de [les] communiquer, d[’en] laisser des empreintes ».
« Après le premier décès auquel j’ai dû faire face, je cherchais un objet rituel ; puis je suis tombé sur un mouchoir de tissu, que j’ai acheté et laissé près de ma table d’atelier. Au fil du temps, il me servait à essuyer ma surface, mes plaques de gravure, mes mains, mes bavures d’encre. » Petit à petit, Yannick De Serre tisse par ce cycle un rapport intimiste avec les morts côtoyées. Chaque décès marqué par le choix d’un nouveau mouchoir, chaque mouchoir marqué par les nouvelles œuvres en travail. « C’est un témoin, un artefact d’atelier assez puissant. »
Exposer le rituel
À OBORO, il présente de nombreux linceuls contenant ces tissus symboliques. « Ce projet-là prend son sens dans l’accumulation. Le fait qu’il soit présenté en mi-carrière est important : ça confirme que le rituel fonctionne et offre une guérison avec le temps. » Si ces mouchoirs canalisent chacun un décès particulier, De Serre les recense périodiquement. Chaque fin d’année, il prend un large papier japonais où il les recueille et les plie selon une gestuelle établie, puis paquette l’ensemble et l’étiquette avant de le consigner auprès des précédents.
Ce projet toujours en cours — « jusqu’à ce que je prenne ma retraite » — est le témoin de ses 17 dernières années de métier à l’urgence. Précise, la série de gestes qu’il effectue crée cet aspect rituel émouvant que l’on reconnaît à l’artiste-infirmier. Elle exhibe la recherche délicate qu’il conduit autour des affects. Dans la salle d’exposition, la série de linceuls s’adosse à un autel qui montre des tissus suturés et les outils d’un travail artistique et infirmier. Des œuvres imprimées montrant des bouquets funestes le surplombent, constituant un ultime hommage.
Conjuguer deux vies
La cohabitation des deux emplois de De Serre lui offre un éventail de matières, d’instruments, de sujets et de techniques qui croisent le milieu de l’art et le milieu hospitalier. « Pour moi, ça devient mes outils d’atelier. Un exacto est un scalpel, je coupe mon papier avec des ciseaux chirurgicaux, la pointe sèche que j’utilise pour mes gravures est une aiguille médicale. » C’est là la force du travail de De Serre. Exprimant par l’art les motifs d’un métier exigeant et engageant, l’artiste fait exister une harmonie entre les soins intensifs et l’atelier qui culmine vers cette guérison espérée.
« Mon travail réside dans ces dualités entre le rough et le soft. Ça se manifeste entre autres par mes sutures, que je mets en avant pour inscrire des mots qui connotent et renforcent le propos de mes œuvres. C’est une façon pour moi de jouer avec la notion de cicatrice, de parler d’empreinte et de trace. » Son travail artistique, minimaliste, privilégie une sobriété esthétique et matérielle pour parler de sujets forts et durs. Partant de l’idée qu’avec peu, on est capable de déchiffrer beaucoup, De Serre propose dans chaque détail des indices importants pour le message de l’œuvre. Il produit en somme des projets sensibles et délicats qui contrebalancent le poids éprouvant des drames quotidiens vécus à l’hôpital.
Résilience et autres guérisons
De Yannick De Serre, à OBORO, jusqu’au 10 décembre 2022.