Galadriel Avon
Clara Cousineau - Objectifier l'écriture au vernissage, 2022. © La Guilde.

« PAPERHOLIC » : dépliages exploratoires de la matière


Le Devoir | 2022
lire sur la plateforme originale.
L’intérêt pour la matérialité du papier est grandissant depuis quelques années. Si la foire Papier, qui se tiendra du 26 au 28 août, est déjà bien connue, le projet PAPERHOLIC : Obsession papier, monté à La Guilde et présenté jusqu’au 11 septembre, observe finement la complexité de cette matière et vaut le détour.

L’exposition collective, qui réunit onze pratiques artistiques, pensée par la commissaire Geneviève Duval et produite par l’organisme Terres en vue, se veut un espace de réflexion et d’exploration autour du papier. Comme bien d’autres, l’artiste Sébastien Gaudette, qui en fait partie, voit une occasion féconde dans la rencontre de ces démarches, « qui portent une même fascination, mais qui travaillent la matière différemment ». Celles-ci rendent compte du génie créatif et du potentiel novateur des artistes, pour la plupart autodidactes.

La dimension cachée du papier

À l’instar de la foire Papier, l’expo se veut accessible à tous avec ses propositions formelles et conceptuelles reconsidérant cette matière familière. « Tout le monde utilise le papier. C’est un élément commun. Mais le penser autrement, le sortir des appréhensions habituelles, c’est ce qui m’intéresse le plus », dit M. Gaudette, qui souligne une préoccupation généralisée chez les artistes de l’exposition.

Sébastien Gaudette, fasciné par le symbole de la feuille mobile, propose une série de dessins et de sculptures qui reprennent son format. Les pages gribouillées et chiffonnées qu’il y met en scène sont reproduites en trompe-l’œil, donnant au papier une nouvelle matérialité. « Travailler la pérennité du matériau, jouer avec l’image de la feuille froissée par différents moyens pour que celle-ci, contrairement aux attentes, n’atterrisse pas à la récupération, mais plutôt dans un contexte d’exposition, et donc de mise en valeur, est quelque chose de récurrent dans ma pratique », révèle-t-il.

Les insertions textuelles au cœur de ses œuvres — « l’art de composer sans réfléchir », « in my practice, I don’t take the end result into consideration », « page blanche » — forment un commentaire sur la valeur accordée aux espaces d’essais et d’erreurs dans le rituel créatif. « Essayer de reproduire des imperfections, des éclaboussures, est devenu pour moi une manière de montrer le processus, explique l’artiste. On commence tous par une ébauche. Jouer avec la notion d’erreur, d’irrégularité, me permet d’explorer la relation entre le contrôle et le non-contrôle que j’ai sur la matière. » Car si l’artiste ne peut dompter le papier lorsqu’il le froisse, sa reproduction à l’identique des plis et textures que ce geste crée lui en donne une pleine maîtrise en retour. Mise en abyme, la feuille est chez Gaudette montrée dans tous ses états.

D’autres récits surgissent chez Clara Cousineau, qui reprend aussi ce motif. Son installation Objectifier l’écriture regroupe au mur de minces tablettes horizontales aux rebords bleus, parcourues de fils rouges transversaux et chargées d’une collection d’objets peints en noir. Ceux-ci cryptent l’alphabet et composent un poème hiéroglyphique à résoudre sur cette « feuille mobile » grandeur nature. « Lire est pour la plupart des Occidentaux un processus intellectuel internalisé, assimilé. Les mécanismes qui sont enclenchés lors de cette activité nous sont invisibles. En créant cette œuvre, j’ai voulu intervertir certains codes matériels et conceptuels propres à l’écriture afin de régénérer la simple expérience de la lecture », dit celle qui interroge habilement le langage et sa manière de faire autorité. « Paradoxalement, ce sont ici les objets qui nomment les mots et non les mots qui nomment les objets. À mon sens, cette nouvelle graphie est représentative de l’époque dans laquelle nous vivons : une ère d’abondance matérielle. »

Clara Cousineau génère un imaginaire contemporain où les fonctions naturelles des choses sont floutées, altérées, transformées. Elle propose une réflexion oblique sur la charge de l’écrit tout comme sur la valeur de l’objet dans nos rapports au monde : « J’aime penser que les objets qui nous entourent peuvent s’assembler en une suite logique afin de former un discours-miroir qui expose certaines réalités humaines », dit-elle, soulignant en somme son désir d’explorer les conventions et les rites de socialisation qui transitent par le papier.

Monumentalités et gestuelles

Intéressés par la formalité du papier, d’autres artistes proposent une exploration de ses possibilités matérielles. C’est le cas de Marie-José Gustave qui, en l’abordant par les techniques du tissage et du tressage, crée du monumental à partir de gestes étroits et fins qui laissent toute la place à la matière. « Le papier me fascine par sa grande polyvalence. Je suis en perpétuelle découverte des formes que je peux lui donner », souligne celle qui travaille les dérivés de ce matériau — carton, fil et pulpe de papier. Hypnotic et Coraux, ses constructions présentées dans l’expo, révèlent des textures insoupçonnées par les formes organiques, mouvantes et séduisantes qu’elles adoptent. Celles-ci naissent d’un geste en perpétuel renouvellement : la démarche de Gustave constitue un pôle d’expérimentations manuelles dictées par le papier et ses attributs particuliers. Elle oscille ainsi entre matière et gestualité.

L’artiste en vient à s’interroger sur l’étonnement que suscitent désormais les pratiques artisanales dans nos sociétés industrialisées. « Mes œuvres parlent de transmission et d’universalité : c’est mon point de rencontre avec d’autres cultures que la mienne, avec des gens qui ont fait les gestes que je perpétue à mon tour. C’est une forme de langage », explique celle qui mise sur le contact de ses œuvres avec autrui pour leur donner un sens, sa pratique créant du maillage à plusieurs niveaux. 

Gustave pense le papier en dehors de sa surface plane, chose commune chez les artistes de l’exposition. À partir d’un matériau basique et de gestes tout aussi rudimentaires — pliage, découpage, collage, assemblage — apparaissent, dans PAPERHOLIC : Obsession papier, de nouvelles manières de penser nos rapports à la matière. Celle-ci devient véhicule d’affects : les artistes, en la manipulant, la sacralisent et la campent dans des récits différents. Le projet nous pousse en outre à sonder la valeur des choses inanimées qui nous entourent, un fil conducteur à suivre prochainement à la foire Papier.



PAPERHOLIC: Obsession papier
D’Andréanne Bouchard, Clara Cousineau, Karine Demers, Sébastien Gaudette, Marie-JoséGustave, Pauline Loctin, Alexia McKindsey, Stéphanie Morissette, Christine Sioui Wawanoloath, Erin Vincent et Ute Wolf. À La Guilde, jusqu’au 11 septembre 2022.