Galadriel Avon
Geneviève & Matthieu, M. Gros, 2022. Performance dans le cadre de la Biennale d’art performatif de Rouyn-Noranda, 1 h 30 min. Crédit : Geneviève & Matthieu. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Biennale de performance de Rouyn-Noranda

Ex_situ | 2023
> No. HS, Exposer les corporéités hors normes, couverture + p. 34-43.


FATHERMOTHER, BLACK MOON, 2022. Performance. Crédit!: Christian Leduc. Avec l’aimable autorisation de l’Écart art actuel.

Massy Emond et Danny Twist (Edmund Porn Project), Prélude 101.1.1, 2022. Performance. Crédit!: Christian Leduc. Avec l’aimable autorisation de l’Écart art actuel.




Louise Liliefeldt, Continental breakfast for dinner, 2022. Performance. Crédit!: Christian Leduc. Avec l’aimable autorisation de l’Écart art actuel.
Andrew Tay, François Lalumière et Katarzyna Szugajew, Fame Prayer/EATING, 2022. Performance. Crédit!: Christian Leduc. Avec l’aimable autorisation de l’Écart art actuel.
keyon gaskin, its not a thing, 2022. Performance. Crédit: Christian Leduc. Avec l’aimable autorisation de l’Écart art actuel.




Lara Kramer, Them Voices, 2022. Performance. Crédit!: Christian Leduc. Avec l’aimable autorisation de l’Écart art actuel.

Kim Sanh-Châu, Bleu Néon, 2022. Performance. Crédit!: Christian Leduc. Avec l’aimable autorisation de l’Écart art actuel.

M. Gros

Chairs mouvantes et chants a cappella — des êtres dispersés, vivants et inertes. Jusqu’où va le corps ? Dans M. Gros, le duo Geneviève & Matthieu s’habilite, engendre de nouveaux espaces, explore la longitude et la latitude des lieux pour mieux définir l’architecture de sa présence scénique. Muni·e·s d’accessoires, les artistes en exploitent les possibilités et les finitudes. Dans leur performance d’une heure et demie sont poussées les limites, toutes les limites. Œuvre de résistance, M. Gros va au-delà du constat que les corps ont des contraintes. Dans l’immobilisme, chacun·e active l’autre; dans l’usage des outils mis à disposition et intégrés au décor, le geste reste en tension, va parfois même jusqu’au cul-de-sac; dans la genèse des musiques exploratoires, l’ampleur des visages s’intensifie et l’agentivité se réclame. Les artistes défient les règles, se dotent de nouvelles trames. Par leurs êtres mis en performance, ils réfléchissent à la chute de l’action. Quel est son support, et à qui la doit-on? L’obtempération des modulations du corps est visible, perceptible, tangible — et parfois choquante. Car pourquoi donner à voir des tensions si l’on ne souhaite pas explorer les distorsions, les craquements, les latences et les fouillis — capharnaüms. Un équilibre réside ailleurs, dans l’idée de se mettre en situation. Forçant le déplacement du public, Geneviève et Matthieu savent se frotter au hors-champ et le laisser parler. En criant l’ordre, déclamant la direction à prendre, le collectif engendre un univers de possibles et déplace l’envie d’une finalité. Devenant peaux, les deux artistes se perméabilisent et comprennent enfin le geste, en le rendant antilinéaire.

BLACK MOON

Le geste comme instrument, la percussion des corps. Enivrées d’amour, les chairs mènent une procession chorégraphique, esthétique; s’accrochent dans les vides laissés par le silence et les comblent un à la fois comme autant de rituels pour aimer l’autre, s’aimer avec l’autre. Kezia Waters et Jordan Brown, qui forment le collectif FATHERMOTHER, sont des artistes de Chicago. Dans BLACK MOON, iels encadrent cette relation intime qu’iels tissent l’un·e avec l’autre, respectant ce périmètre saupoudré au sol et ces projections alternant couleurs et archives qui paramètrent leurs positionnements. Dans le tracé de leurs corps, iels se rejoignent au bout de chaque geste. Recherche manifeste dans le mouvement: à travers sa répétition apparaît une réflexion sur les limites de la sérialité; à travers la tension du déploiement surgit l’ex-tension du corps; à travers la circularité des connexions se profile une musicalité rituelle incarnée. Puis, la force du souffle, l’intimité des corps qui se relaient, les avancements jusqu’aux étreintes. Dans l’exubérance des gestes simples se tient la plus simple écoute de l’autre, authentique.

Prélude 101.1.1

Cléricy. Des hardes s’activent, s’activisent. Dans le rapatriement communautaire de nos corps collectifs, un nouveau possible. Une forme de procession initiatique naît. Un pèlerinage du village comme un appel à écouter les récits de la région. La force du témoignage se ramaille à tout le contexte de mobilisation qui s’imbrique dans le territoire abitibien depuis des décennies. Il y aura toujours un lendemain. Marie-Hélène Massy Émond et son complice Danny Twist, qui forment ensemble le Edmund Porn Project, offrent la musique comme défoulement – comme construction sociale. Elle est un lieu de discours et d’expérimentations. Des paroles se croisent et s’habitent, des sons se percutent aux murs extérieurs et syntonisent le mélodieux, à défaut de le trouver dans les projets d’extraction qui menacent et s’imposent. C’est une direction à ne pas prendre; tout le corps résiste. En subvertissant les harmonies et en interagissant avec les limites des bruits et des réverbérations sonores, iels invitent à d’autres modes d’appréhension du monde. C’est une histoire d’enracinement, de dépossession, puis de réappropriation. À travers la mémoire – collective, historique, communautaire. Se retrouver.

Continental breakfast for dinner

Le corps sensing the public. Une bête traverse les espaces, joue le quotidien. En reproduisant méticuleusement le rituel animal, Louise Liliefeldt recrée le mouillage, le grattage, le souffle. Elle se frotte à l’autre et aux limites des lieux, appelle l’interaction. Elle laisse une empreinte. Dans sa déambulation animalistique, l’artiste confronte des mondes multiples, rampe jusqu’à l’essence de l’espèce, ne se bâdre plus du reste. Elle marque le passage et s’affilie au devenir.

Fame Prayer / EATING

Des corps communicants s’explorent. En sondant l’épistémologie des lieux, les artistes Andrew Tay, François Lalumière et Katarzyna Szugajew envisagent leurs propres espaces intimes, les frottent à ceux des autres. Des gestes qui exploitent, voire exigent, la puissance cinétique des corps révèlent par ailleurs leurs percussions, leurs tensions, leurs moiteurs — leurs musculatures et leurs tissus. En processus, chacun·e coule dans l’autre. Iels exhibent les derniers retranchements de leurs chairs.

its not a thing

Dans ses chorégraphies fragmentaires, keyon gaskin observe les isolements, les frontières, les clivages. Iel s’interpose dans l’espace et joue avec les porosités humaines — se rend sujet des regards et demande: qui regarde qui? Les interruptions, les successions et les duplications délibérées sont autant de motifs de sa mise en marche. Circulaire, son occupation du lieu lui donne la discrétion du début et de la fin. L’artiste se livre, se dénude; et sans annoncement, le performatif croise la vie courante.

Them Voices

Adoptant des postures volontaires de déséquilibre, Lara Kramer trace des (in)tangibilités, des (in)stabilités au cœur de son rite performatif. Matériaux bruts et matériaux industrialisés se croisent dans une scénographie riche, grouillante, d’où surgissent des insondables, des imprévisibles. Par la construction de ses actions, à la fois non linéaires et pourtant parfois chronologiques, elle teste sa gestualité tout comme les pièces de ses structures installatives. Elle bouge les lieux et les habite. Elle fait corps avec la matière. Elle défie les formalités conventionnelles par de nouvelles architectures qui échappent au convenu, puis initie ainsi une valse entre les complexes de résistance des choses et leur organicité intrinsèque. La mémoire du geste et le rituel matériel deviennent, de cette manière, les pôles d’une plus large réflexion sur le poids des choses, des actes. Kramer adresse les distances créées entre soi et la terre, entre l’ici-maintenant et le déjà-passé. Elle engage les éléments, génère de nouvelles sources de vie: par la démarche vacillante qu’elle s’impose au moyen de charges et d’encombrements, elle dessine ses propres contours et ceux des matières, puis questionne l'inertie — sociale, politique et physique.

Bleu Néon

Comme des battements, les gestes pulsés de Kim-Sanh Châu cultivent la présence. Minimalistes, des éclats de lumière donnent un tempo aux actions; des échos sonores tempèrent ou accélèrent les mouvances du corps. C’est dans une large pièce surplombée d’un carré de néons bleutés, rougeâtres et violacés, puis sur fond de silences et d’extraits musicaux rappellant le Vietnam, que circule l’artiste, en pleine conscience. Son investissement des espaces transcende: elle donne du poids aux choses invisibles. Par un déploiement chorégraphique de près d’une heure, elle travaille le fléchissement, crée la déposition, laisse vibrer. Œuvre de contrôle, l’acte performatif qu’elle donne à voir est à la croisée d’un travail formaliste et d’une création méditative puissante. Bougeant les masses d’air, elle leur donne une constance. Réactualisant des gestes et des chants, elle se trace une voie, se faufile jusqu’à un patrimoine culturel échappé puis rattrapé. Elle renoue avec le geste ancestral par une série d’actions, de répétitions, de résistances qu’elle incarne, et absorbe. À travers ne serait-ce que le bougement furtif de ses doigts, elle arrive — et se souvient du nostalgique ailleurs aussi appelé maison.



Biennale d’art performatif de Rouyn-Noranda 
L’Écart art actuel, 12 — 15.10.22, Rouyn-Noranda, avec Geneviève et Matthieu; Kezia Waters et Jordan Brown (FATHERMOTHER); Massy Émond et Danny Twist (Edmund Porn Project); Louise Liliefeldt; Andrew Tay, François Lalumière et Katarzyna Szugajew; keyon gaskin; Lara Kramer; Kim-Sahn Châu.