« Par-delà les frontières » : les luttes éprouvées et universelles de Nalini Malani
Le Devoir | 2023
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Depuis le 23 février dernier, le public peut voir des œuvres de l’artiste indienne Nalini Malani au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), une première au Canada. Coup d’œil sur une exposition signée Mary-Dailey Desmarais.
Pionnière de l’art vidéo en Inde
Nalini Malani est connue aussi bien dans son pays d’origine qu’au sein de la communauté internationale pour son travail novateur. Ses expositions dans les grands lieux d’art des capitales occidentales, telles que New York, Londres et Paris, et de celles de l’Orient, telles que New Delhi, Tokyo, Istanbul et Mumbai, ont forgé la carte de visite de l’artiste née en 1946 à Karachi, qui cumule désormais plus de 50 ans de pratique.
Si ses présences à l’international façonnent son parcours depuis 1980, son exposition au MBAM est sa première en terres canadiennes. La conservatrice en chef et commissaire de l’exposition, Mary-Dailey Desmarais, suivait le travail de l’artiste et songeait depuis longtemps à diffuser ses projets à Montréal. « Sa pratique est certainement pertinente : elle est engagée, mais aussi courageuse. Nalini Malani traite de sujets sociopolitiques actuels. Imaginer une présence de ses œuvres dans la métropole, où les communautés d’Asie du Sud sont nombreuses, mais où il y a aussi une forte culture de la vidéo, de l’animation et des médias numériques, était de toute évidence nécessaire et pertinent. »
Trois œuvres résonantes
Au MBAM, Desmarais rassemble ainsi trois œuvres de Malani, dont deux ont été réalisées spécialement pour la métropole montréalaise.
Le Carré d’art contemporain, grande salle au rez-de-chaussée du musée, présente une installation vidéographique imposante dont la projection à neuf canaux tapisse trois de ses quatre murs. Can You Hear Me ? (M’entends-tu ?), la plus récente vidéo de l’artiste, est une animation constituée de 88 dessins qui ont été réalisés sur iPad, une méthode jusqu’alors inutilisée dans le travail de Malani. Immersive, son œuvre aborde le fléau des violences humaines — celles vécues en Inde tout comme d’autres qui sont universelles. L’accumulation frénétique des dessins et des sons grinçants diffusés dans l’espace révèle une forme de dystopie, où l’épuisement et la colère des femmes sont palpables.
La fresque City of Desires – Crossing Boundaries (Ville de désirs – Par-delà les frontières), qui occupe un carrefour du MBAM tout près du Carré, a été réalisée par les muralistes Iuliana Irimia et Cassandra Dickie, approchées par l’artiste pour ancrer le projet dans Montréal. Cette œuvre, comme la précédente, fait montre d’un langage visuel puissant, ses lignes enchevêtrées impliquant le public dans une lecture captivante de l’image. Le projet sera, à la fin de l’exposition, effacé à l’occasion d’une performance dirigée par l’artiste, un moyen de réfléchir aux politiques et aux poétiques de la mémoire collective.
Dans ces deux projets, la figure d’Alice aux pays des merveilles — cette fillette qui, entourée de magie, perd au gré du temps son innocence — est fréquente. S’y référer dans son travail pictural constitue une manière, pour Malani, de parler des systèmes de violences qui se perpétuent et privent la vie humaine d’une certaine candeur. Cette représentation enfantine est aussi, notamment dans Can You Hear Me ?, une allusion tacite au viol collectif d’une jeune Indienne, par huit hommes, dont la mort a profondément troublé l’artiste.
Ultime œuvre de l’exposition, Ballade d’une femme animera la toile numérique du musée, un lieu de projection extérieur occupant la façade du pavillon Michal et Renata Hornstein. L’artiste, qui a eu carte blanche pour la réalisation de sa proposition multimédia, fait revenir à la vie une femme assassinée qui s’évertue à effacer les traces de sa mort. Peu à peu, son pèlerinage participe à la protection de son agresseur, faisant émerger des questions sur les dynamiques parfois complexes qui naissent entre les victimes et leurs bourreaux. Projetée chaque jour, de la brunante à l’aube, jusqu’en août prochain, l’animation de cinq minutes jette un regard cru sur le poids précarisant qui repose sur les épaules des femmes.
Ainsi, les univers à la fois vibrants et denses des dessins animés de Malani reflètent l’état actuel du monde. L’artiste iconique devient la porte-voix des combats menés par les marginalisés, les ignorés et les oubliés, et en particulier de ceux des femmes.
Par-delà les frontières
De Nalini Malani, au MBAM, jusqu’au 20 août 2023.
Pionnière de l’art vidéo en Inde
Nalini Malani est connue aussi bien dans son pays d’origine qu’au sein de la communauté internationale pour son travail novateur. Ses expositions dans les grands lieux d’art des capitales occidentales, telles que New York, Londres et Paris, et de celles de l’Orient, telles que New Delhi, Tokyo, Istanbul et Mumbai, ont forgé la carte de visite de l’artiste née en 1946 à Karachi, qui cumule désormais plus de 50 ans de pratique.
Si ses présences à l’international façonnent son parcours depuis 1980, son exposition au MBAM est sa première en terres canadiennes. La conservatrice en chef et commissaire de l’exposition, Mary-Dailey Desmarais, suivait le travail de l’artiste et songeait depuis longtemps à diffuser ses projets à Montréal. « Sa pratique est certainement pertinente : elle est engagée, mais aussi courageuse. Nalini Malani traite de sujets sociopolitiques actuels. Imaginer une présence de ses œuvres dans la métropole, où les communautés d’Asie du Sud sont nombreuses, mais où il y a aussi une forte culture de la vidéo, de l’animation et des médias numériques, était de toute évidence nécessaire et pertinent. »
Trois œuvres résonantes
Au MBAM, Desmarais rassemble ainsi trois œuvres de Malani, dont deux ont été réalisées spécialement pour la métropole montréalaise.
Le Carré d’art contemporain, grande salle au rez-de-chaussée du musée, présente une installation vidéographique imposante dont la projection à neuf canaux tapisse trois de ses quatre murs. Can You Hear Me ? (M’entends-tu ?), la plus récente vidéo de l’artiste, est une animation constituée de 88 dessins qui ont été réalisés sur iPad, une méthode jusqu’alors inutilisée dans le travail de Malani. Immersive, son œuvre aborde le fléau des violences humaines — celles vécues en Inde tout comme d’autres qui sont universelles. L’accumulation frénétique des dessins et des sons grinçants diffusés dans l’espace révèle une forme de dystopie, où l’épuisement et la colère des femmes sont palpables.
La fresque City of Desires – Crossing Boundaries (Ville de désirs – Par-delà les frontières), qui occupe un carrefour du MBAM tout près du Carré, a été réalisée par les muralistes Iuliana Irimia et Cassandra Dickie, approchées par l’artiste pour ancrer le projet dans Montréal. Cette œuvre, comme la précédente, fait montre d’un langage visuel puissant, ses lignes enchevêtrées impliquant le public dans une lecture captivante de l’image. Le projet sera, à la fin de l’exposition, effacé à l’occasion d’une performance dirigée par l’artiste, un moyen de réfléchir aux politiques et aux poétiques de la mémoire collective.
Dans ces deux projets, la figure d’Alice aux pays des merveilles — cette fillette qui, entourée de magie, perd au gré du temps son innocence — est fréquente. S’y référer dans son travail pictural constitue une manière, pour Malani, de parler des systèmes de violences qui se perpétuent et privent la vie humaine d’une certaine candeur. Cette représentation enfantine est aussi, notamment dans Can You Hear Me ?, une allusion tacite au viol collectif d’une jeune Indienne, par huit hommes, dont la mort a profondément troublé l’artiste.
Ultime œuvre de l’exposition, Ballade d’une femme animera la toile numérique du musée, un lieu de projection extérieur occupant la façade du pavillon Michal et Renata Hornstein. L’artiste, qui a eu carte blanche pour la réalisation de sa proposition multimédia, fait revenir à la vie une femme assassinée qui s’évertue à effacer les traces de sa mort. Peu à peu, son pèlerinage participe à la protection de son agresseur, faisant émerger des questions sur les dynamiques parfois complexes qui naissent entre les victimes et leurs bourreaux. Projetée chaque jour, de la brunante à l’aube, jusqu’en août prochain, l’animation de cinq minutes jette un regard cru sur le poids précarisant qui repose sur les épaules des femmes.
Ainsi, les univers à la fois vibrants et denses des dessins animés de Malani reflètent l’état actuel du monde. L’artiste iconique devient la porte-voix des combats menés par les marginalisés, les ignorés et les oubliés, et en particulier de ceux des femmes.
Par-delà les frontières
De Nalini Malani, au MBAM, jusqu’au 20 août 2023.