Déchéances et contre-résistances dans le sensible masculin
Centre d’art de Kamouraska | 2023
> lire sur la plateforme originale.
Centre d’art de Kamouraska | 2023
> lire sur la plateforme originale.
Larry Tremblay, à travers son roman
Tableau final de l’amour, livre une
douce mais combien violente traversée
inspirée de la vie de Francis Bacon.
Peintre du XXe siècle, celui-ci est un
être torturé, rempli à la fois d’amour et
de cruauté, bouleversé par des
entrechoquements émotifs qui ont
forgé sa trajectoire – une vie artistique
rongée par les doutes, la colère,
l’élément manquant, l’inspiration en
défaut et l’impression, finalement,
d’avoir trouvé. Sa rencontre avec
Georges Dyer adoucit en même temps
qu’avive sa nécessité de création. Leur
idylle amoureuse est complexe,
modelée par les contradictions
respectives des deux amants et
pourtant bercée par une flamme
incandescente qui les apaise.
Confrontant, le récit de ces allers-retours entre création picturale et création amoureuse est écrit avec une sensibilité désarmante. En effet, l’auteur propose par sa plume une narration captivante où s’affichent sans pudeur les conflits intérieurs – et infiniment intimes – des protagonistes. Il pose en ce sens un regard critique sur les balbutiements d’une homosexualité pouvant se vivre librement, à une époque où les yeux acerbes des milieux mondains sont encore durs et poignants. Les défis qu’engendre cette revendication sexuelle sont vécus, par Bacon, comme autant de manières de cultiver l’arrogance. En même temps est-il mobilisé par une sensibilité, qu’il découvrira encore davantage auprès d’un autre amant rencontré à travers ses soirées arrosées en galeries. Prendre soin devient, au milieu d’amours féroces, un moteur dans les relations humaines de Bacon. Sa douceur, qui rompt avec son désir de frappes, de coups et de violences, le conduit à poser des gestes tendres. Il défie ses fantasmes impliqués depuis l’enfance pour toucher à l’amitié enivrante, l’amour drogué. Dans cette danse entre états crus et états seconds se trace peut-être une vie calme, jusqu’à la prochaine flambée.
Dans cette inspiration libre qu’offre l’auteur, suivre les dédales de Bacon nous rapporte à notre constant besoin d’équilibre. Située, cette recherche, qui risque de ne pas trouver son objet, est ce qui permet au lectorat cet envoûtement, ce plongeon frontal dans un XXe siècle controversé aux identités trafiquées. Le milieu de l’art, alors mobilisé par de nombreux courants qui s’opposent et se tenaillent, demande à ses principaux·ales acteur·trice·s de se déplier, de se vivre, de s’habiter – avec tous les défis que ce geste de réappropriation pose. Cultiver son identité dans un tournant historique aussi majeur relève d’une contorsion qui ne laisse pas sans heurt, et Bacon devient le porte-étendard de cette fraîcheur soufflant sur les perceptions sociales d’alors. Le regard que pose l’auteur sur cette réalité, encore outrageusement d’actualité, est franc, vrai, cru et humble.
Larry Tremblay. 2021. Tableau final de l’amour. La Peuplade, Saguenay, 216 p.
« En une nuit, il y a eu un tel déversement que plus rien par la suite n’était viable. Nous avons usé la rage à sa racine, la rage d’aimer. Et, trop conscient de notre déroute, je savais que notre relation s’inverserait. Après tout, j’étais le peintre et poursuivais depuis des années une seule et unique quête : faire reculer le beau jusqu’à l’impensable, comme s’il était possible de priver l’atome de son commencement. » (Tremblay, p. 52-53).
Confrontant, le récit de ces allers-retours entre création picturale et création amoureuse est écrit avec une sensibilité désarmante. En effet, l’auteur propose par sa plume une narration captivante où s’affichent sans pudeur les conflits intérieurs – et infiniment intimes – des protagonistes. Il pose en ce sens un regard critique sur les balbutiements d’une homosexualité pouvant se vivre librement, à une époque où les yeux acerbes des milieux mondains sont encore durs et poignants. Les défis qu’engendre cette revendication sexuelle sont vécus, par Bacon, comme autant de manières de cultiver l’arrogance. En même temps est-il mobilisé par une sensibilité, qu’il découvrira encore davantage auprès d’un autre amant rencontré à travers ses soirées arrosées en galeries. Prendre soin devient, au milieu d’amours féroces, un moteur dans les relations humaines de Bacon. Sa douceur, qui rompt avec son désir de frappes, de coups et de violences, le conduit à poser des gestes tendres. Il défie ses fantasmes impliqués depuis l’enfance pour toucher à l’amitié enivrante, l’amour drogué. Dans cette danse entre états crus et états seconds se trace peut-être une vie calme, jusqu’à la prochaine flambée.
« Bousculant tout le monde, je me suis frayé un chemin jusqu’à toi, je t’ai serré contre moi. Le silence, comme une onde qui se propage, a immobilisé tous ceux qui se trouvaient dans la galerie. L’étreinte de nos deux corps formait un nouveau tableau autour duquel la foule se tenait sur ses gardes, ne sachant comment le regarder. Je percevais les appels de ton cœur contre le mien. » (Tremblay, p. 107)
Dans cette inspiration libre qu’offre l’auteur, suivre les dédales de Bacon nous rapporte à notre constant besoin d’équilibre. Située, cette recherche, qui risque de ne pas trouver son objet, est ce qui permet au lectorat cet envoûtement, ce plongeon frontal dans un XXe siècle controversé aux identités trafiquées. Le milieu de l’art, alors mobilisé par de nombreux courants qui s’opposent et se tenaillent, demande à ses principaux·ales acteur·trice·s de se déplier, de se vivre, de s’habiter – avec tous les défis que ce geste de réappropriation pose. Cultiver son identité dans un tournant historique aussi majeur relève d’une contorsion qui ne laisse pas sans heurt, et Bacon devient le porte-étendard de cette fraîcheur soufflant sur les perceptions sociales d’alors. Le regard que pose l’auteur sur cette réalité, encore outrageusement d’actualité, est franc, vrai, cru et humble.
Larry Tremblay. 2021. Tableau final de l’amour. La Peuplade, Saguenay, 216 p.