Galadriel Avon
Aïcha Bastien N’Diaye & Dgino Cantin, Nos coeurs ratchets, vue d’installation, 2022. Photo : Courtoisie de VU, Québec.

Yahndawa’ : portages entre Wendake et Québec

Esse | 2023
> No. 107, Famille, p. 98.






Alain-Martin Richard, La parole entravée, vue d’installation, 2022. © Courtoisie de VU, Québec.

Présentée au cœur de Québec, l’exposition Yahndawa’ : portages entre Wendake et Québec se veut un vecteur de rencontres entre artistes de la capitale nationale et artistes wendat du Nionwentsïo. Le projet, entamé le 1er septembre 2021 par une série d’ateliers et des résidences dans sept lieux de diffusion de la ville, a suivi son cours à l’automne 2022 avec une exposition tenue en certains de ces endroits. Irriguée par le concept du portage, la question de la cocréation est centrale dans le parcours qui relie VU, l’Œil de Poisson, La Bande Vidéo et la baie vitrée de Méduse. La mise en espace des différents projets explore les collaborations fortuites nées de ces mois de création partagée. En exploitant ces convergences, l’exposition dessine des trajectoires communes et reflète l’incubation de nombreuses filiations.

En guise de préambule au projet, Andrée Levesque Sioui et Anne-Marie Proulx croisent le wendat et le français pour raconter l’histoire de la Yahndawa’, rivière ancienne qui porte sur son dos une cosmogonie entière. Dans ce texte d’ouverture de l’exposition, les autrices renouvèlent les trames narratives d’une histoire millénaire de la création du monde en enchevêtrant l’ici-maintenant et le passé. Les artistes du projet en écrivent la suite. Sur les rivages de la Yahndawa’, les gestes se ressourcent, les mythes prennent vie et les récits se déversent à grand débit.

Dans la première salle de VU, l’installation interactive La parole entravée d’Alain-Martin Richard unit les 14 créateurs et créatrices. Chacun·e a été invité·e à sculpter et ornementer un bâton de parole. Rassemblés dans le centre d’artistes, ces bâtons déclenchent, lorsqu’on les touche, des capsules vidéographiques laissant entendre les artistes dire ce qui, à leurs yeux, favorise ou paralyse le dialogue. Habité·e·s par des sensibilités multiples, ils et elles réfléchissent en chœur, élargissent les perspectives. Ces pôles d’écoute et de bienveillance, disséminés dans l’ensemble des lieux de l’exposition, ravivent et ritualisent le vivre-ensemble par des créations collectives nombreuses. Les artistes se donnent l’espace de revenir. Lorsque Teharihulen Michel Savard et Annie Baillargeon portent la glaise et émeuvent la terre en lui rendant hommage (Là où coulent les ramifications de nos portages, 2022) ; qu’Aïcha Bastien N’Diaye et Dgino Cantin formulent la révolte, la rupture et l’éclat (Nos coeurs ratchets, 2022) ; et qu’Andrée Levesque Sioui file la tradition avec Érika Hagen-Veilleux et Jeffrey Poirier et que se tissent des êtres entre eux (Confluences, 2022) ; comme de longues traversées, les temporalités s’enchainent et les symboles se réveillent. Dans ces passages multiples que donnent à voir les œuvres, les artistes se lient aux territoires intimes, réels, fictifs et ancestraux. Mouvants, ces projets étudient les seuils du monde. Ils véhiculent des équilibres entre la nature et l’humanité, noyau de cette exposition qui parle d’enracinement.

Par les échanges et la proximité, les œuvres sont autant de gestes qui rapprochent les mémoires, se cultivent et se nourrissent entre elles. Nécessaire, la proposition de Yahndawa’ permet d’envisager de nouvelles postures où entretenir l’humilité. D’une communauté à l’autre, un travail de reliance façonne des relations neuves, libérées, complices. Bougées par la rivière, les existences se versent les unes dans les autres.



VU, L’Œil de Poisson, La Bande Vidéo & Méduse, Québec du 9 septembre au 16 octobre 2022.