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Vue d’installation de l'exposition « Dans l’oeil du béluga » de Maryse Goudreau (comm. Noémie Fortin), Galerie d’art Foreman, 2023. © Jean-Michel Naud.

« Dans l’œil du béluga » : observer le vivant pour réenchanter le monde


Le Devoir | 2023
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À la galerie d’art Foreman, lieu d’exposition sherbrookois affilié à l’Université Bishop’s, un public jeune et varié s’immerge depuis le 29 avril dernier dans un monde particulier. Plongée dans Dans l’œil du béluga, une proposition signée Maryse Goudreau et Noémie Fortin.

Remontant les années jusqu’à sa jeunesse, l’artiste gaspésienne Maryse Goudreau se souvient que son amour du béluga a toujours été vif. C’est que la disparition possible du mammifère, qui menace l’espèce depuis déjà quelques décennies, avive des sensibilités fortes chez elle ; constatant l’inaction politique vis-à-vis de la pollution qui afflige nos océans, elle éprouve un vertige quant à l’idée qu’un être vivant puisse subitement disparaître du continuum de l’histoire biologique et terrestre.

Commissaire indépendante et anciennement conservatrice à l’éducation à Foreman, Noémie Fortin a découvert le travail de Goudreau au Symposium de Baie-Saint-Paul en 2017 et a instantanément été touchée par son univers. Alors accompagnée de sa jeune fille Alix, elle voit en ses œuvres puissantes une capacité à émouvoir un large public, ses thématiques frôlant une certaine universalité.

Enfin invitée par Fortin, en 2021, à imaginer une exposition pour le jeune public, Goudreau se replonge tranquillement dans le patrimoine de son enfance. « Quand j’étais petite, la situation des bélugas m’attristait beaucoup, et j’avais une affiche dans ma chambre sur laquelle on pouvait lire le slogan “Leur avenir… C’est surtout le nôtre” », dit celle dont la pratique, nécessairement, appelle à la conscience écologique. À l’idée d’une première expo jeunesse, l’artiste devient rapidement submergée par une envie insatiable d’explorer autrement cette charge émotive qui la lie depuis toujours à la bête aquatique.

Un espace grouillant d’imaginaires

Les deux s’allient pour métamorphoser l’enceinte de la galerie Foreman. Accueillant les visiteurs, l’œuvre La permission propose d’abord un temps d’arrêt. Cette photographie frontale d’un œil de béluga, très intime, relate un moment d’intensité vécu entre Maryse Goudreau et l’un des mammifères observés dans un aquarium américain. Leur regard soutenu, d’une durée de plus de deux heures, est l’une des nombreuses expériences transformatrices que l’artiste a vécues avec ces animaux. Dans la galerie, une chaîne de bouées disposées au sol permet de consigner les chaussures des visiteurs incités à déambuler pieds nus, le béluga veillant sur elles le temps d’une promenade enracinée.

« Ça sent le mammifère marin quand on entre dans cette expo-là ! » dit l’artiste, qui a, entre autres, réparti dans l’espace de la galerie des peaux de phoque qui invitent au toucher et engagent le contact avec la matière. Cette « archive du béluga », qui caractérise sa pratique depuis plusieurs années, se déploie ici magistralement : Goudreau regagne une posture d’enfant et imagine de nouvelles manières d’envelopper la visite du jeune public, multipliant les approches innovantes qui croisent photographie, vidéographie, travail sonore et installation.

Par plusieurs dispositifs, elle y raconte entre autres l’histoire de Népi, un jeune béluga coincé dans la rivière Népisiguit, qu’elle a veillé quatre jours durant, juchée sur une roche le surplombant, toujours à se demander s’il survivrait. À Foreman, le récit se revit : la civière qui a servi au sauvetage de l’animal, agrandie de peaux, est déposée sur un lit d’eau et permet aux enfants de rejouer la traversée du béluga rescapé. Un livret accompagnant l’expo, intitulé Ma nuit au creux d’une nageoire, raconte cette histoire sensible, une autre manière pour l’artiste de se lier aux enfants et de leur offrir un espace pour développer une pensée autonome et critique sur tous ces enjeux qui touchent l’environnement et ses habitants.

Une approche éducative

Outre les propositions interactives qui caractérisent l’exposition, la trame narrative du projet, où cohabitent les thèmes de l’extinction et de la « maternance » — « le fait de prendre soin d’un enfant, ou plus largement de tous les êtres vivants, à la manière d’une mère, dans une relation de proximité fondée sur la bienveillance et l’empathie », selon l’artiste et la commissaire —, incite à mieux tracer nos rapports aux autres vivants. Le montage imaginé crée l’ancrage et déjoue l’écoanxiété. « On est ici dans le plus simple de la sensibilité ; le béluga est en soi une créature de réenchantement, on n’a pas besoin d’en faire beaucoup pour que sa beauté et sa grandeur jaillissent », décrit Goudreau.

Du côté de Fortin, il lui apparaît essentiel de mijoter de plus en plus d’expositions pour le jeune public. « Développer tout un scénario de visite avec les enfants, proposer une activité de création à la toute fin, comme dans ce cas inviter les enfants à modeler un vivant duquel ils veulent prendre soin, tout ça implique de réfléchir à l’importance des postures de réception, de médiation, de circulation et de construction des récits d’expositions. »

Cette invitation à écouter le vivant et à nous déposer dans nos propres sentiments, à nous plonger dans l’œil du béluga, permet ainsi d’envisager les moments où, ensemble, nous referons surface.



Dans l’œil du béluga
De Maryse Goudreau (comm. Noémie Fortin), à la Galerie Foreman, jusqu’au 22 juillet 2023.