« Rendez-vous des disparitions » : retour dans le passé
Le Devoir | 2023
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L’artiste interdisciplinaire Guillaume Adjutor Provost aborde la contre-culture, le récit alternatif et la contre-histoire comme des modes de narration de la marge. Sa posture épouse celle de la recherche-création et s’intéresse à des articulations politiques historiques qui rendent poreuses les frontières entre l’intime et le collectif. À Drummondville, au centre DRAC art actuel, son exposition Rendez-vous des disparitions se penche sur un événement phare de la trame (inter)nationale récente : le Sommet des Amériques, tenu à Québec en 2001, dont les manifestations et les arrestations qui en ont découlé ont catalysé le discours de luttes sociales trouvant encore leur place dans le paysage actuel.
Les archives de la galerie d’art Desjardins
Alors que DRAC art actuel s’est récemment ajouté à la liste des lieux de diffusion québécois agréés comme musées, la genèse de l’exposition renvoie à un chapitre précédent de son histoire, où il portait encore le nom de galerie d’art Desjardins. Provost raconte que le projet s’est d’abord construit autour de son expérience en tant que public là-bas. « Quand on entre à DRAC, on sent tout le travail qui a été fait pour renouveler le mandat et l’identité du lieu. Je projetais d’y exposer, et pour provoquer un dialogue avec l’espace, je me suis intéressé à ses archives qui contiennent plus de quarante ans de programmation. Je suis tombé sur le travail de Jean Lauzon, sur sa série Prendre le temps qui a documenté des rassemblements anarchistes organisés dans les Cantons-de-l’Est au tournant du millénaire et dont certaines photos ont été présentées à la galerie en 2001, au moment où se tenait tout près le Sommet… Ça m’a tout de suite touché, interpellé. »
Provost avait déjà rencontré l’œuvre documentaire de Lauzon auparavant. Si germait chez lui l’idée d’aborder le Sommet des Amériques puis de réfléchir à ses répercussions sociétales et humaines, tomber à nouveau sur l’œil sensible du photographe a instantanément eu du sens pour la suite de son projet.
« La série n’a pas été revisitée depuis 20 ans, faute d’avoir fait l’objet d’un livre ou d’une expo. Dans mon cas, je reste très ému par toute l’intimité qui se dégage de ces photos-là : la grande proximité entre les sujets, mais aussi l’absence totale de la caméra, comme si le photographe avait directement eu accès, sans filtre, aux personnes devant lui », dit l’artiste, qui remarque un clivage avec notre constant souci de représentation actuel. Pour lui, le corpus de Lauzon traduit l’authenticité des individus de cette marge punk dont les discours politiques ont avoisiné ceux des personnes sur la ligne de front lors du Sommet, qui contestaient l’idéal de mondialisation ambiant. Il ajoute, réfléchissant : « La distance historique informe toujours la manière dont on regarde ces récits qui appartiennent au passé. »
Esthétique dialogique
Sensible à l’avènement des discours altermondialistes et intéressé par ce qu’il en reste, l’artiste se propose de réaliser une exposition en conversation avec Jean Lauzon, comme un récit-courtepointe autour des transitions économiques du XXIe siècle et de leurs répercussions. Des centaines de sources s’accumulent au fil de sa conception — la recherche est méthodique, les visites à la BAnQ sont fréquentes. L’artiste étudie la ZLEA (Zone de libre-échange des Amériques), le sujet principal du Sommet, au moyen d’articles qui viennent corroborer l’un des motifs de contestations des manifestations : l’inaccessibilité initiale des textes discutés au sein du Sommet.
Sculptures documentaires, photographies du réel ; la matérialité du travail de Provost est conceptuelle et il lui importe de jouer avec ses différents degrés de lecture. Par diverses stratégies, il invite le factuel dans ses expérimentations plastiques, façonne une sculpture reprenant la constitution moléculaire du gaz lacrymogène employé comme agent antiémeute lors du Sommet, simule sous un dôme de résine la maquette d’une prison ayant incarcéré plus de 300 manifestants lors de soulèvements. Ces modelages voisinent des bribes de journaux trouvées dans les archives nationales sur des socles bas. Les photographies de Lauzon, imprimées sur carton et pliées à la main pour leur donner une nouvelle lecture, ornent plutôt les murs.
« Au-delà de la question du politique, ce sont les questions de l’expérience individuelle et collective, des manières d’appartenir et de se représenter ou de s’identifier à soi ou à un groupe qui m’habitent », dit l’artiste, qui cherche à témoigner, dans cette installation commissariée, d’une forme d’épreuve sensible vécue à l’aune de ses recherches. Par leur détournement et par la rencontre, il révèle, recontextualise et met en circulation des idées, laissant le public les aborder par une proximité nouvelle.
Rendez-vous des disparitions
De Guillaume Adjutor Provost, en conversation avec Jean Lauzon, à DRAC art actuel, jusqu’au 22 octobre 2023.
Les archives de la galerie d’art Desjardins
Alors que DRAC art actuel s’est récemment ajouté à la liste des lieux de diffusion québécois agréés comme musées, la genèse de l’exposition renvoie à un chapitre précédent de son histoire, où il portait encore le nom de galerie d’art Desjardins. Provost raconte que le projet s’est d’abord construit autour de son expérience en tant que public là-bas. « Quand on entre à DRAC, on sent tout le travail qui a été fait pour renouveler le mandat et l’identité du lieu. Je projetais d’y exposer, et pour provoquer un dialogue avec l’espace, je me suis intéressé à ses archives qui contiennent plus de quarante ans de programmation. Je suis tombé sur le travail de Jean Lauzon, sur sa série Prendre le temps qui a documenté des rassemblements anarchistes organisés dans les Cantons-de-l’Est au tournant du millénaire et dont certaines photos ont été présentées à la galerie en 2001, au moment où se tenait tout près le Sommet… Ça m’a tout de suite touché, interpellé. »
Provost avait déjà rencontré l’œuvre documentaire de Lauzon auparavant. Si germait chez lui l’idée d’aborder le Sommet des Amériques puis de réfléchir à ses répercussions sociétales et humaines, tomber à nouveau sur l’œil sensible du photographe a instantanément eu du sens pour la suite de son projet.
« La série n’a pas été revisitée depuis 20 ans, faute d’avoir fait l’objet d’un livre ou d’une expo. Dans mon cas, je reste très ému par toute l’intimité qui se dégage de ces photos-là : la grande proximité entre les sujets, mais aussi l’absence totale de la caméra, comme si le photographe avait directement eu accès, sans filtre, aux personnes devant lui », dit l’artiste, qui remarque un clivage avec notre constant souci de représentation actuel. Pour lui, le corpus de Lauzon traduit l’authenticité des individus de cette marge punk dont les discours politiques ont avoisiné ceux des personnes sur la ligne de front lors du Sommet, qui contestaient l’idéal de mondialisation ambiant. Il ajoute, réfléchissant : « La distance historique informe toujours la manière dont on regarde ces récits qui appartiennent au passé. »
Esthétique dialogique
Sensible à l’avènement des discours altermondialistes et intéressé par ce qu’il en reste, l’artiste se propose de réaliser une exposition en conversation avec Jean Lauzon, comme un récit-courtepointe autour des transitions économiques du XXIe siècle et de leurs répercussions. Des centaines de sources s’accumulent au fil de sa conception — la recherche est méthodique, les visites à la BAnQ sont fréquentes. L’artiste étudie la ZLEA (Zone de libre-échange des Amériques), le sujet principal du Sommet, au moyen d’articles qui viennent corroborer l’un des motifs de contestations des manifestations : l’inaccessibilité initiale des textes discutés au sein du Sommet.
Sculptures documentaires, photographies du réel ; la matérialité du travail de Provost est conceptuelle et il lui importe de jouer avec ses différents degrés de lecture. Par diverses stratégies, il invite le factuel dans ses expérimentations plastiques, façonne une sculpture reprenant la constitution moléculaire du gaz lacrymogène employé comme agent antiémeute lors du Sommet, simule sous un dôme de résine la maquette d’une prison ayant incarcéré plus de 300 manifestants lors de soulèvements. Ces modelages voisinent des bribes de journaux trouvées dans les archives nationales sur des socles bas. Les photographies de Lauzon, imprimées sur carton et pliées à la main pour leur donner une nouvelle lecture, ornent plutôt les murs.
« Au-delà de la question du politique, ce sont les questions de l’expérience individuelle et collective, des manières d’appartenir et de se représenter ou de s’identifier à soi ou à un groupe qui m’habitent », dit l’artiste, qui cherche à témoigner, dans cette installation commissariée, d’une forme d’épreuve sensible vécue à l’aune de ses recherches. Par leur détournement et par la rencontre, il révèle, recontextualise et met en circulation des idées, laissant le public les aborder par une proximité nouvelle.
Rendez-vous des disparitions
De Guillaume Adjutor Provost, en conversation avec Jean Lauzon, à DRAC art actuel, jusqu’au 22 octobre 2023.