Galadriel Avon
Depuis demain, une résidence de Nicolas Laverdière au terrain de Balle-au-mur, en collaboration avec Vrille art actuel, La Pocatière, 2023. © Galadriel Avon.

Depuis demain, une résidence de Nicolas Laverdière

VRillE art actuel | 2023
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Depuis demain, une résidence de Nicolas Laverdière au terrain de Balle-au-mur, en collaboration avec Vrille art actuel, La Pocatière, 2023. © Marie-Claude Hains.


Depuis demain, une résidence de Nicolas Laverdière au terrain de Balle-au-mur, en collaboration avec Vrille art actuel, La Pocatière, 2023. © Pilar Macias.


Depuis demain, une résidence de Nicolas Laverdière au terrain de Balle-au-mur, en collaboration avec Vrille art actuel, La Pocatière, 2023. © Galadriel Avon.




Depuis demain, une résidence de Nicolas Laverdière au terrain de Balle-au-mur, en collaboration avec Vrille art actuel, La Pocatière, 2023. © Pilar Macias.




Depuis demain, une résidence de Nicolas Laverdière au terrain de Balle-au-mur, en collaboration avec Vrille art actuel, La Pocatière, 2023. © Marie-Claude Hains.


Depuis demain, une résidence de Nicolas Laverdière au terrain de Balle-au-mur, en collaboration avec Vrille art actuel, La Pocatière, 2023. © Pilar Macias.


Depuis demain, une résidence de Nicolas Laverdière au terrain de Balle-au-mur, en collaboration avec Vrille art actuel, La Pocatière, 2023. © Pilar Macias.
Chronique #1

Arrivé à La Pocatière depuis le 31 juillet dernier, l’artiste Nicolas Laverdière s’éprend vite de la large infrastructure ; l’avoisine et la visite ; la découvre et l’analyse. Celle qui fait partie de ses projections depuis près d’un an agit sur lui. Comme une puissante attraction qui pulse entre l’artiste et le lieu, Laverdière parle d’un « effet du mur » : chacun d’eux est traversé par la présence prégnante de l’autre. Vestige d’un temps passé et maintenant enchâssé dans le patrimoine matériel de la ville, ce terrain qui se subdivise en dix surfaces hautes de quarante-quelques pieds est encore un attrait pour plusieurs, curieux comme sportifs. Pour l’artiste, membre de feu-BGL et désormais L. solo, embrasser la latitude de l’endroit, qui semble insuffler à tout imaginaire le mot « monumentalité », lui permet d’engager une réflexion sur les idées du divertissement, du règlement et du faux-semblant.

Au fil de ses premières semaines de résidence, côtoyer cette immensité défait certaines de ses idées de grandeur initiales, en reforme d’autres. Laverdière s’immerge dans le lieu, tisse lentement un lien affectif avec le Collège Saint-Anne-de-La-Pocatière, déplie bagage dans son atelier se trouvant à l’intérieur du grand mur. Il chemine à travers les corridors labyrinthiques et les espaces de rangement de la structure vieille de plus d’un demi-siècle ; se pousse tranquillement à la rencontre de reliques sportives hétéroclites faisant deviner d’anciennes olympiades autant que de celles de la balle au mur elle-même – raquettes, balles, numéros en bois permettant d’afficher les scores. Interpellé par les structures de jeu de toutes sortes, il trouve à La Pocatière un espace aux recoins infinis par lequel sonder ce qui régit nos amusements, ce qui courbe nos quotidiens.

La démarche processuelle de Laverdière laisse présager une interaction constante entre la recherche et les tests pratiques. Sur sa table de travail qu’il aménage peu à peu, un dégagement futur entre bi et tridimensionnalité se profile. Des maquettes s’accumulent au large d’esquisses réalisées numériquement, le carton chevauchant les feuilles imprimées de toutes les tentatives imaginées. Le souhait d’investir cette architecture vétuste et d’actualiser l’esprit du lieu, voire de le dévergonder, l’anime et le force à trouver des manières détournées de réfléchir l’espace ; d’en afficher volontairement les dessous, les coulisses, les ombres. Palpable, on devine la volonté de l’artiste d’intervenir éventuellement sur le mur immense, de dessiner sur lui les contours de nouvelles règles qui jailliront de la fiction, du jeu… de la folie.

Chronique #2

Une urgence de peindre envahit l’artiste dès la fin de sa deuxième semaine à La Pocatière. Les ébauches planifiées de son intervention à venir s’amassent et l’accaparent de plus en plus. Elles montrent une pluralité d’espaces de jeu qui n’attendent que de prendre corps dans les aires infinies des terrains de balle au mur voisins. Suggérant des trompe-l’œil, les prototypes de Laverdière engagent la peinture dans un déploiement architectural : une glace de hockey aux lignes en fondaison, une piscine en plongée, un terrain de basketball dont le bleu-blanc-rouge fait penser qu’il se serait trompé de couleurs… Les univers sportifs convoités se confondent et les ombres de leurs règlements se croisent.

Ce désir pressant d’entrer dans la matière picturale témoigne de la volonté de l’artiste de comprendre comment l’espace se comporte, reçoit les configurations particulières pensées pour lui. Dès la mi-août, un échafaudage conquiert l’une des surfaces de la structure – une occupation qui laisse imaginer la haute voltige que représente le projet de L. solo, d’une envergure manifeste. Sortir de l’atelier constitue pour lui le voyage que permet la création. Il se laisse contaminer positivement par l’environnement, entre dans une discussion avec ce dernier afin d’arriver à une résolution des défis techniques qui se présentaient en atelier et qui, par leur nombre, imposaient tranquillement une forme de résistance sur le projet. Des lignes sont enfin tracées, colorées ; Laverdière épingle des ficelles qui lui permettent de rapporter sur de longues distances les décisions plastiques à prendre, latte par latte. L’idée de réaliser les ombres de lignes en aplat découle d’un jeu autour de la réalité et de la fiction, représente une extravagance dont l’exécution est un casse-tête. L’artiste travaille à trouver leurs justes couleurs, des laques qui feront transparaître le grain du bois. Au plus haut de l’échafaud, une simulation de ce réseau de traits constitue son modèle à échelle réduite.

Des visites impromptues rythment le travail en cours, font oublier des mesures. Une famille traverse l’espace tapissé de tracés, ralentit sa marche, interroge « si la balle au mur est toujours praticable » avant de poursuivre sa route vers le terrain désiré, s’élançant dans une joute chaudement disputée laissant entendre la balle contre le mur, les limites du souffle de chacun·e. Laverdière accueille ces contacts tout en poursuivant ses actions ; met ainsi son corps en constante conversation avec l’autre et la vie qu’abrite le lieu. Le caractère public de l’intervention en cours relève peut-être surtout de ces rencontres fortuites qui dévoilent que la structure de balle au mur est tout sauf décrépite, obsolète et ruinée. Elle est de ces espaces usés qui ont une âme que la nouveauté n’a pas, aime à penser l’artiste.

Chronique #3

Au tournant d’une troisième semaine partagée avec le Balle au mur, Laverdière habite désormais l’espace, joue de plus bel avec ses aspérités et caractéristiques. Les longues journées qu’il passe à arpenter les recoins du lieu et à saisir ce que celui-ci est prêt à absorber comme nouveaux récits portent fruit. Si le travail de peinture remplit le quotidien de l’artiste, les allers-retours visuels entre le sublime qui imprègne la bâtisse du Collège et le brut qui tapisse son atelier gagnent tranquillement l’arène de ses réflexions. Aux trajets de lignes déjà tracés sur le mur s’entremêlent peu à peu des insertions de type art-déco, comme une tentative d’accorder les inspirations en jeu depuis les débuts de sa résidence. L’envergure sculpturale de l’espace vieilli mais toujours occupé informe des possibilités nouvelles : elle invite les influences. L’intérêt d’une éventuelle exploration de la tridimensionnalité par l’entremise d’objets glanés ici et là s’éveille : l’artiste y voit une énième occasion de jouer avec les effets de l’ombre, saillante dans le projet.

Il joue ainsi avec les éléments, déploie une frise qu’il matérialise par une accumulation de trouvailles et une réutilisation des madriers de certains terrains voisins devenus impraticables. Barreaux de lits vieillots, fioritures rappelant d’anciennes architectures travaillées, répliques de raquettes originales : tous ces articles se juxtaposent dans une habile construction dont les défis ont été pluriels. Conçue par L. solo et l’un des nombreux acolytes venus se greffer à lui pour tremper dans le projet, la structure a été imaginée afin de reprendre les codes des kiosques de fêtes foraines, toujours dans la volonté d’aborder l’éventail d’imaginaires qui surgissent lorsque l’on pense au concept du jeu. Les enjeux de pesanteur, de solidité, de pérennité et de fixation lui étant liés leur demandent de réfléchir autrement ; ainsi l’idée d’un système d’accrochage à poulies se fraie un passage dans leurs réflexions pratiques. Ce dispositif permettra de hisser la frise jusqu’au sommet du pan de mur peinturé, un volume rappelant les ornements de meubles antiques.

La valeur collaborative du travail de L. solo est manifeste. Réalistement, c’est en fait l’envergure du projet qui commande cette dimension collective. Par le prisme de la rencontre, de nouvelles idées et une nouvelle audace apparaissent. Des cibles mouvantes s’ajoutent, deux grandes horloges aux pendules cinétiques invitent le lancer de futures balles mises à disposition du public. L’esthétique du projet arrive ainsi à sa résolution dans le sculptural. Des détails qui font sourire s’y glissent, une interaction avec les passant·e·s s’envisage de plus en plus et une communauté s’active autour du lieu, comme une simulation des préparatifs qui laissent entrevoir de grandes fêtes.

Chronique #4

À l’approche des évènements participatifs imaginés en collaboration avec l’équipe de VRillE qui prendront place lors de sa dernière semaine de résidence, l’artiste L. solo développe un nouveau rapport avec le temps qui lui est imparti, qui s’amenuise à vue d’œil. Les rencontres avec le public qui se profilent, d’une part une présentation d’artiste le 21 septembre au soir et d’autre part un vernissage du lieu transformé le 23 septembre en après-midi, exaltent Laverdière tout autant qu’elles exercent une forme de torsion sur ses heures restantes. Les jours s’emballent et l’aide précieuse de personnes venues l’accompagner pour supporter les derniers préparatifs et ultimement souffler un air nouveau sur le projet rend de nouveau visible l’importance de la collaboration au sein du défi de taille qu’il s’est donné.

Au tournant de la mi-septembre, l’artiste cherche à brosser les derniers coups de pinceaux en hauteur afin de se départir du large échafaud qui meuble l’espace du terrain. Un ultimatum qu’il a fixé dans son échéancier requiert de lui qu’il démonte, avec des comparses, l’attirail haut de quelques trente pieds pour libérer l’accès à la palissade mais aussi, surtout, au plancher qu’il lui reste à investir. L’expérience doit être totale : s’il fallait d’abord « rendre le mur plancher », l’effet de flottaison recherché ne peut s’activer que si les pieds du·de la spectateur·ice subissent le prolongement des lignes tracées. Le dispositif mis en place par l’artiste se déploie dans l’espace du public, l’enveloppe et le fait entrer dans cette danse sportive à laquelle il invite. Dans cet ordre, la prédominance du jeu est palpable dans les référents de l’installation tout autant que dans l’attitude préconisée par Laverdière. Chaque élément ajouté au projet est une clé servant l’écosystème conceptuel, visuel et interactif qu’il œuvre à mettre sur pied. Ses choix, le plus souvent, sont guidés par cette envie folle que « la partie soit plus drôle ». Depuis longtemps anticipées, les joutes à venir au vernissage sont pour L. solo une occasion d’inventer du nouveau, d’embrasser les possibles du terrain et de se laisser guider par eux – lignes à ne pas franchir, cibles à atteindre, points à accumuler et… costumes à revêtir, car Laverdière entrevoit l’expérience ultime d’une reconstitution de photos d’époque où gens bien mis venaient se frotter à leurs adversaires dans cette structure captivante. Fasciné par les lieux chargés d’histoire, l’artiste a un faible pour ce qui trahit le passage du temps.

Pour lui, ce projet fou parle de générosité : les frises, les objets empruntés et intégrés, le temps passé à peinturer, découper et assembler sont des manières d’embellir le lieu, de prendre soin de lui, de raconter sa lecture personnelle de l’espace et de témoigner de sa reconnaissance envers lui. Il s’agit aussi, un peu, de faire le récit de ce qui l’anime et le convainc d’encore épouser sa posture d’artiste. Après tout ce temps, la surprise demeure, et le plaisir de mobiliser l’esprit autant que le cœur dans un projet d’envergure canalise cette nécessité de réfléchir autrement, à l’ombre de règles souvent déterminées bien avant que l’on puisse les élucubrer. Ainsi, si le projet est d’apparence festive et colorée, ce qui transparaît le plus de la démarche de l’artiste est sa simple et immense sensibilité qui le rattache au Balle au mur et aux gens qui le fréquentent.