
Nadia Myre et Skawennati : des œuvres pour dessiner un futur possible
Le Devoir | 2025
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À Ottawa, deux univers conjugués offrent actuellement un panorama de l’excellence des pratiques en art autochtone contemporain au pays. Jusqu’au 1er septembre, les artistes Nadia Myre et Skawennati investissent chacune les salles du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC). Elles proposent des expositions indépendantes, reliées toutefois par des connivences thématiques, narratives et poétiques, en plus d’être rattachées par un espace réflexif mitoyen pensé pour accompagner le public dans sa visite. Coup d’œil sur une programmation estivale intelligente qui lève le voile sur une diversité faramineuse de motifs et de techniques.
Naviguer sur les vagues du désir
Plongée saisissante dans plus de vingt ans de création multidisciplinaire, l’exposition Vagues du désir valorise, telle une rétrospective, la proposition singulière de l’artiste Nadia Myre à travers les années. L’artiste algonquine de la Première Nation de Kitigan Zibi, reconnue pour son œuvre riche ancrée dans les tensions entre identité, résilience et pouvoir colonial, inscrit dans sa démarche un acte de mémoire vif et incarné.
À travers des installations immersives, des sculptures, de la céramique, de la vidéo et, surtout, des œuvres issues du perlage — son moyen d’expression emblématique —, Myre construit au MBAC un territoire d’émotions, de réflexions et d’expériences à partager. Son travail, qui explore les limites entre l’artisanat et l’art contemporain, le personnel et le politique, le geste intime et le message universel, déploie sa force dans les rituels de réparation qu’il met en œuvre, redessinant notre rapport au passé et à la guérison. Dans Vagues du désir, on sent partout une volonté de réconcilier ces oppositions, de créer des ponts entre les mondes, les blessures et les possibles. L’attention portée aux matières — écorce, bois, perles, aluminium — trahit une sensibilité qui donne justement corps à ces idées. Avec sa soixantaine d’œuvres, l’exposition invite à l’écoute, à la patience et à la contemplation, puis appelle à la présence, à la rencontre et à la prise de conscience.
Au sortir de cette traversée, la puissance du travail de Nadia Myre se révèle dans son humilité. Il ne frappe pas d’un geste spectaculaire ; il trace plutôt des sillons intimes et collectifs où s’agrègent blessures et désirs, récits du passé et espérances face à l’avenir. Comme une invitation à faire nôtre la matière des histoires inscrites dans nos corps, dans nos gestes et dans nos silences, Myre propose de tracer de nouvelles voies pour écrire la suite.
Arriver au futur par le rêve
Skawennati, que l’on trouve à la croisée de la tradition haudenosaunee et du numérique, réinvente plutôt les présences autochtones dans un paysage numérique et spéculatif. Au MBAC, son travail est montré, à l’instar de celui de Myre, avec la volonté de saluer son importance dans le paysage artistique canadien actuel. Une œuvre réalisée en 2000, Imagining Indians in the 25th Century, amorce ainsi la rétrospective. Cette dernière campe le décor d’une bonne partie de la production de l’artiste : nous sommes en terrain technologique, où, dans un langage Web plus ou moins surchargé, apparaissent des figures oniriques d’un futur lointain à découvrir.
Visuellement, Skawennati opère une jonction très singulière entre l’analogique et le numérique. Son imaginaire manifeste sans détour des fantaisies anachroniques, qui sont d’ailleurs judicieusement matérialisées au cœur de l’exposition. En salle, des textiles — costumes, wampums revisités, habits tirés de l’œuvre They Sustain Us (2024) — tout droit sortis de l’univers virtuel des œuvres de l’artiste viennent en effet fléchir les frontières entre art traditionnel et mode contemporaine. Des estampes, sculptures, vidéos à trois canaux et machinimas participent aussi au récit complexe de l’exposition, qui s’inscrit dans un temps futuriste.
S’il faut parfois percer des niveaux de lecture multiples dans l’œuvre de Skawennati, on découvre tout de même, en définitive, un univers généreux, symbolique et ludique. Qu’est-ce qu’un futur autochtone dans un monde en mutation ? Guidée par cette question brûlante, l’artiste additionne les évocations historiques et les présences fictives pour réinventer les récits dominants du passé.
Le feu comme rituel communautaire
Un lieu de transition, comme un sas, a été imaginé pour accompagner le visiteur à la fin de son parcours des deux expositions. C’est dans l’espace giiwitaashkodeng — qui veut dire « se rassembler autour du feu » en anishinaabemowin — que l’intensité vécue avec les œuvres peut enfin se déposer. Assis autour de ce foyer symbolique, le public est invité à exprimer pensées, affects, gestes et mots sur des cubes jaunes, rouges ou orangés laissés dans l’espace. Il devient dès lors acteur, dépositaire des réflexions engendrées par les propositions narratives des deux artistes. Favorisant les connexions humaines tout en permettant de faire se rencontrer les différentes manières qu’ont les visiteurs d’être habités par les expositions, cette zone participative dit finalement que l’œuvre ne s’achève pas et qu’elle s’écrit collectivement, allant de pair avec cette intention des expositions d’unir, de rassembler, de réécrire et de créer du lien.
L’une perle le passé, l’autre code l’avenir
Si l’expo de Myre arrive à dépayser le regard, c’est bien parce que, sans crier ni imposer, elle invite avec délicatesse et force à habiter les tensions historiques et, peut-être, à tisser d’autres récits, d’autres vagues, d’autres formes de désir. Les stratégies pour arriver à bâtir un futur autochtone possible ne sont pas les mêmes pour Skawennati. Or, ce futur est fait d’envies d’alliances et d’espérances similaires à celles de Myre, comme si elles étaient partagées par un fil invisible reliant les salles du MBAC. À elles deux, les artistes réinventent doucement un espace-temps habitable, lumineux, où les rêves et les cicatrices se transforment. Elles offrent ainsi au public une vue sur un avenir visionnaire à la croisée du sensible et du ludique, capable de donner corps, enfin, à une histoire commune.
Vagues du désir
De Nadia Myre. Au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, jusqu’au 1er septembre.
Bienvenue dans le monde des rêves
De Skawennati. Au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, jusqu’au 1er septembre.
Naviguer sur les vagues du désir
Plongée saisissante dans plus de vingt ans de création multidisciplinaire, l’exposition Vagues du désir valorise, telle une rétrospective, la proposition singulière de l’artiste Nadia Myre à travers les années. L’artiste algonquine de la Première Nation de Kitigan Zibi, reconnue pour son œuvre riche ancrée dans les tensions entre identité, résilience et pouvoir colonial, inscrit dans sa démarche un acte de mémoire vif et incarné.
À travers des installations immersives, des sculptures, de la céramique, de la vidéo et, surtout, des œuvres issues du perlage — son moyen d’expression emblématique —, Myre construit au MBAC un territoire d’émotions, de réflexions et d’expériences à partager. Son travail, qui explore les limites entre l’artisanat et l’art contemporain, le personnel et le politique, le geste intime et le message universel, déploie sa force dans les rituels de réparation qu’il met en œuvre, redessinant notre rapport au passé et à la guérison. Dans Vagues du désir, on sent partout une volonté de réconcilier ces oppositions, de créer des ponts entre les mondes, les blessures et les possibles. L’attention portée aux matières — écorce, bois, perles, aluminium — trahit une sensibilité qui donne justement corps à ces idées. Avec sa soixantaine d’œuvres, l’exposition invite à l’écoute, à la patience et à la contemplation, puis appelle à la présence, à la rencontre et à la prise de conscience.
Au sortir de cette traversée, la puissance du travail de Nadia Myre se révèle dans son humilité. Il ne frappe pas d’un geste spectaculaire ; il trace plutôt des sillons intimes et collectifs où s’agrègent blessures et désirs, récits du passé et espérances face à l’avenir. Comme une invitation à faire nôtre la matière des histoires inscrites dans nos corps, dans nos gestes et dans nos silences, Myre propose de tracer de nouvelles voies pour écrire la suite.
Arriver au futur par le rêve
Skawennati, que l’on trouve à la croisée de la tradition haudenosaunee et du numérique, réinvente plutôt les présences autochtones dans un paysage numérique et spéculatif. Au MBAC, son travail est montré, à l’instar de celui de Myre, avec la volonté de saluer son importance dans le paysage artistique canadien actuel. Une œuvre réalisée en 2000, Imagining Indians in the 25th Century, amorce ainsi la rétrospective. Cette dernière campe le décor d’une bonne partie de la production de l’artiste : nous sommes en terrain technologique, où, dans un langage Web plus ou moins surchargé, apparaissent des figures oniriques d’un futur lointain à découvrir.
Visuellement, Skawennati opère une jonction très singulière entre l’analogique et le numérique. Son imaginaire manifeste sans détour des fantaisies anachroniques, qui sont d’ailleurs judicieusement matérialisées au cœur de l’exposition. En salle, des textiles — costumes, wampums revisités, habits tirés de l’œuvre They Sustain Us (2024) — tout droit sortis de l’univers virtuel des œuvres de l’artiste viennent en effet fléchir les frontières entre art traditionnel et mode contemporaine. Des estampes, sculptures, vidéos à trois canaux et machinimas participent aussi au récit complexe de l’exposition, qui s’inscrit dans un temps futuriste.
S’il faut parfois percer des niveaux de lecture multiples dans l’œuvre de Skawennati, on découvre tout de même, en définitive, un univers généreux, symbolique et ludique. Qu’est-ce qu’un futur autochtone dans un monde en mutation ? Guidée par cette question brûlante, l’artiste additionne les évocations historiques et les présences fictives pour réinventer les récits dominants du passé.
Le feu comme rituel communautaire
Un lieu de transition, comme un sas, a été imaginé pour accompagner le visiteur à la fin de son parcours des deux expositions. C’est dans l’espace giiwitaashkodeng — qui veut dire « se rassembler autour du feu » en anishinaabemowin — que l’intensité vécue avec les œuvres peut enfin se déposer. Assis autour de ce foyer symbolique, le public est invité à exprimer pensées, affects, gestes et mots sur des cubes jaunes, rouges ou orangés laissés dans l’espace. Il devient dès lors acteur, dépositaire des réflexions engendrées par les propositions narratives des deux artistes. Favorisant les connexions humaines tout en permettant de faire se rencontrer les différentes manières qu’ont les visiteurs d’être habités par les expositions, cette zone participative dit finalement que l’œuvre ne s’achève pas et qu’elle s’écrit collectivement, allant de pair avec cette intention des expositions d’unir, de rassembler, de réécrire et de créer du lien.
L’une perle le passé, l’autre code l’avenir
Si l’expo de Myre arrive à dépayser le regard, c’est bien parce que, sans crier ni imposer, elle invite avec délicatesse et force à habiter les tensions historiques et, peut-être, à tisser d’autres récits, d’autres vagues, d’autres formes de désir. Les stratégies pour arriver à bâtir un futur autochtone possible ne sont pas les mêmes pour Skawennati. Or, ce futur est fait d’envies d’alliances et d’espérances similaires à celles de Myre, comme si elles étaient partagées par un fil invisible reliant les salles du MBAC. À elles deux, les artistes réinventent doucement un espace-temps habitable, lumineux, où les rêves et les cicatrices se transforment. Elles offrent ainsi au public une vue sur un avenir visionnaire à la croisée du sensible et du ludique, capable de donner corps, enfin, à une histoire commune.
Vagues du désir
De Nadia Myre. Au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, jusqu’au 1er septembre.
Bienvenue dans le monde des rêves
De Skawennati. Au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, jusqu’au 1er septembre.